5 septembre 2008

Infographie

Quand les gens me demandent mon métier, en général plutôt que de répondre la version longue (formateur informatique et infographiste indépendant en freelance), je préfère dire : "infographiste".

A la lueur magique qui éclaire leurs yeux à ce moment, je les vois bien imaginer en moi un artiste fou et libre, vivant au jour le jour, pour et par sa passion, couchant sur papier avec fougue ce que son esprit débridé puise au sein de son imaginaire fantastique. Ne parlons pas du salaire présumé, parce que là les croyances vont bon train : allant de l'indécence la plus totale (filles à demi nues, piscines chauffées, grosse baraque design, bagnole de sport, etc.) jusqu'a la misère dans lequel tout bon artiste se doit de vivre et mourir dans l'inconscient collectif, j'ai le droit à tout, de la pitié jusqu'a la jalousie.

Si vous saviez.

Déjà, n'en déplaise aux gens qui croient que ma maison n'est qu'un cloaque vaguement utilitaire parsemé de mes toiles à demi finies : j'aime bien le design simple et propre de mon appartement, je ne peint pas et dessine mal. Enfin, je me débrouille pas mal mais pour un graphiste de métier je suis très loin d'être parmi les meilleurs.
Ensuite, une journée de taff lambda est pour moi aussi trépidante que d'apprendre la page 121 de l'annuaire par cœur : je forme beaucoup de gens chiants, du super-débutant qui sait pas tenir une souris et met ses échecs à comprendre l'informatique sur le dos du formateur plutôt que sur sa mauvaise volonté évidente jusqu'a l'autodidacte qui se prend pour un technicien à vous poser des questions tellement pointues que lui-même ne les comprend pas (alors pour ce qui est de piger la réponse...).
Enfin, mon salaire net est à peine plus élevé que le SMIC net, en moyenne. Rien de transcendant, donc.

Oui mais l'infographie, me direz-vous? Ahhh, l'infographie. Mes clients ont souvent un goût ignoble, et même quand leurs remarques sur mon travail me font frissonner d'horreur (genre : "le fond bleu ciel est joli, mais vous pouvez me mettre un fond écarlate pour que ça se voit plus?") je dois me répéter, comme un mantra : "C'est le client qui paye, c'est lui qui décide, c'est le client qui paye, c'est lui qui décide, ma cornée est arrachée et mes pupilles saignent c'est abominable au secours, mais c'est le client qui paye, c'est lui qui décide (...)"
La grande majorité de mon chiffre c'est plus du petit bonhomme qui sourit avec une part de pizza dans la main que de l'artwork-design pour une firme de parfumerie ou de streetwear...

Mais quand l'inspiration n'est pas là, on fait quoi? Parce que, oui, ça se commande pas. Et même quand ça s'entraine, va faire un dépliant 3-volets pour le recrutement dans la Légion Etrangère ou un flyer de pub pour un crématorium.

Mais je crois que le pire, ce sont les délais.

En général c'est simple : c'est pour hier, dernier délai. On travaille dans l'urgence, il manque 2 ou 3 photos ou images et pas mal de textes qu'on se démerde tant bien que mal pour aller récupérer, quitte à sortir l'appareil photo numérique soi-même. Le client n’est jamais content du résultat. Bon, il à le droit, mais quand on lui demande de conceptualiser par des mots sa mine boudeuse, il nous sort souvent une connerie du genre : "Ca manque de Peps". Le peps. Mais oui, bien sûr, refile moi de l'encre Pantone fluo que tu refuseras de payer parce que c'est trop cher ou carrément du papier clignotant (véridique, on me l'a déjà demandé). On livrera à la bourre, y'aura une couille chez l'imprimeur (c'est obligatoire) et on sortira 10.000 exemplaires de ma connerie, ce qui retardera l'arrivée du chèque d'autant. Voir même plus. S’il arrive un jour.

Exemple vécu :
Je devais réaliser la maquette d'un livret d’une célèbre marque de jouets pour enfants dont la pub originale était : "Prend moi par la main", avec une jolie poupée et une flèche pointée sur sa petite menotte, qu'elle avait sur la hanche. Le souci était que le document livré à l'imprimeur était foiré au niveau du repérage de la page, et au découpage on ne voyait plus que "prend moi par la", avec toujours la poupée souriante et la flèche sur ses hanches.
Je ne pense pas que le public qui à été réceptif à cette pub soit celui qui était ciblé à la base.
Mes collègues ont beaucoup rit.
Pas moi.

Enfin...
Dur métier, mais y'a pire, c'est sûr. Je ne suis pas le plus malheureux et mon boulot est honnète.

Ceci dit, cette fameuse lueur d'admiration dans les yeux des gens, ça me fait bien rire.

3 commentaires:

Grouf a dit…

héhéhé, l'infographie... :D

C'est marrant, c'est ce qu'on arrête pas de nous répéter en cours "Si vous voulez être infographiste, soyez prêt à faire des trucs chiants, répétitifs, moches et qui ne vous plaisent pas"
Pareil pour les délais et le contenu que ce *** de client vous fournit en retard, voire pas du tout... mais ça c'est valable partout, pas que dans l'infographie^^

C'est dur la vie d'artiste quand même...

Anonyme a dit…

loool, c'est vrai que les gouts et les couleurs ne se discutent pas , mais on devrait crée un organisme pour instaurer des "limite au mauvai gout" (au moins pour nous protéger intellectuellement , c'est de la toture :) ).

Anonyme a dit…

Ravie de savoir que je ne suis classée dans aucune des deux catégories "d'élèves", Shaede, mais franchement c'est décourageant quand on débute dans le métier de savoir que tout ça, c'est VRAI.
Sinon j'ai la variante pour les copains que j'ai pas vus depuis un bout: "ouais, j'ai ouvert une société à mon nom; j'ai même bossé pour l'université (des cartes postales, hein, faut bien commencer)". Là ils ont vraiment l'impression que t'es qqn d'important.

L'ignorance est source de la gloire.