17 février 2009

(G)rêve

Bonjour tout le monde.


Je sais, je sais... je suis une loque humaine, je n'ai pas mis mon blog à jour de puis 1 mois, ect.

Ok, c'est vrai. Mais je vais vous raconter la petite histoire de mon petit bout d'île, et de son actualité vue par mes yeux, et je suis sûr que vous me comprendrez.
Je vous le dit déjà, si vous attendiez une mise à jour comique, vous pouvez cliquer sur d’autres blogs, parce que là ça va être du sérieux.

Bon, maintenant que c’est dit j’espère encore avoir quelques lecteurs.

Et puis, que celui qui n’a jamais eu la flemme me jette le premier parpaing, hein à la fin.


*Bûnk*


Mééheuu…

Allez, lisez, et forgez-vous une opinion, j’essayerai de rester neutre autant que faire se peut.

Le 19 Janvier 2009, un collectif de tout plein de syndicats et d’associations, le LKP (Lyannaj Kont Pwofitasyon : en créole le Collectif Contre l’Exploitation) appelle à la grève générale. Le mouvement est assez suivi au début, car la cause affichée est populaire : la lutte contre la vie chère.
Entre autre, puisque la liste énorme des revendications dépasse allègrement la centaine. Au début, on ne sait même pas combien… 126, 145… ce qui est évident est que : ou le malaise social est très grave, ou le collectif se fout de la gueule du monde. Manque de bol pour le préfet, c’est pas la seconde solution.

En parallèle, les stations essence sont en grève aussi. Motif ? double : une protestation contre les pompes automatiques qui rapportent plus, coutent moins que des employés et commencent à être utilisées ici en Guadeloupe… Pas évident du coup de créer des emplois quand les machines nous remplacent. L’autre raison est de limiter l’implantation de nouvelles stations-services en Guadeloupe. Et là je suis dubitatif : même si le marché est limité et déjà bien exploité, on est quand même libres d’ouvrir une boutique si on veut… On appelle ca le libre marché. Mais bon, je ne suis qu’un humble infographiste, j’avoue ne pas toujours tout comprendre.



Du coup, certaines négociations trainent, des manifs se forment, et la mobilisation est énorme ! Des dizaines de milliers de gens sortent dans la rue pour exprimer leur mécontentement. Rappel : nous sommes 450.000 habitants en Guadeloupe. Alors forcément, 60.000 personnes dans les rues, c’est quand même un sacré score.

Personnellement, je m’organise. J’achète de l’eau en bouteille, beaucoup de pâtes/riz et des conserves, au cas où. L’avenir me donnera raison. Déjà j’ai quelques clients qui annulent, le mois ne sera pas faste. Je roule à 70 pour économiser l’essence. Heuresement que j'ai pas une grosse bagnole.



Le premier souci qui commence à se dessiner alors, c’est le porte-parole de ce collectif baptisé le LKP : un syndicat nommé UGTG, célèbre en guadeloupe pour ses méthodes violentes et expéditives et un discours fleurtant parfois avec le racisme (même si ils s’en défendent) et souvent indépendantiste. Pour vous dire, dans certains conflits le fait même de menacer de faire appel à eux (et donc de tout voire péter dans un délai très bref) est souvent un argument de taille pour la bonne tenue les négociations.
Le fait est qu’ils sont efficaces, je l’admets : tu seras toujours plus enclin à négocier avec un tueur armé d’une mitrailleuse lourde qu’avec un intello boutonneux.




Mais là, ils sont quand même le porte-parole de toute une population…
Déjà, ca s’engageait mal, j’avoue ne pas avoir eu confiance.

Le préfet commence d’abord par tester l’implication de la population dans le mouvement : erreur bonhomme, ici le problème est vraiment grave.
Il faut savoir qu’ici le SMIC est le même qu’en métropole mais il y a plus de 30% de chômage, et l’alimentaire est hors de prix : un paquet de pâtes alimentaires 500g premier prix coute environ 2.50€ (l’autre jour avec ma femme on a même vu un paquet de chips premier prix à 8€…) Les services de l’état (ASSEDICs, ANPE, etc) sont d’une inefficacité flagrante, la Justice est figurative et s’attaque presque exclusivement aux petits bourgeois fraudeurs et aux jeunes délinquants de rues. Les mauvais payeurs sont très courants, les petites entreprises écrasées par les taxes comme leur homologues métropolitaines, mais… avec quelques avantages en moins. Je connais personnellement un ami qui attend toujours 2 ans plus tard sont PIJ et son aide à la création d’entreprise. Pas vrai Tino ?

Par contre, tout les fonctionnaires, eux, ont 40% de salaire en plus, justement parceque la vie y est sensé être plus chère en Guadeloupe.
Paradoxal ? Nous ne sommes plus à une contradiction près, aux antilles.



Hé ouais, la Guadeloupe n’est pas une plage géante peuplée d’indigènes fainéants qui dorment sur les hamacs.
Survivre y est facile, Vivre y est plus dur, et travailler y est atroce.

La grève devient à peine tenable : bloqué à la maison sans essence, sans pouvoir aller voir des amis ni aller travailler, bébé pête les plombs, papa stresse de voir ses clients annuler leurs commandes à un rythme alarmant, et maman fait en sorte que personne ne devienne fou. Déjà, un voisin se fait piquer sa moto, on regarde avec amertume les inévitables petits cons caillasser les pompiers aux infos et braquer les enfants du quartier, et je me fais insulter dans la rue, rapport à ma couleur de peau. Bah, des connards, y’en a partout… mais là ca commence à faire beaucoup.



Et, cerise sur le gâteau, Canal+ passe un reportage sur… les békés. Pile au bon moment.
Qui sont les békés ? Tout simplement les descendants des colons esclavagistes blancs envoyés aux antilles à l’époque pour faire travailler les esclaves noirs dans leurs plantations, très à cheval pour la plupart sur leur « pureté de race », en général martiniquais mais rayonnant sur toutes les antilles françaises, et possédant en vrac 40% des terres agricoles en martinique, 60% des supermarchés, 90% de l’agroalimentaire, les importations/exportations, etc.
En gros ce sont de gros nantis blancs racistes (heureusement pas tous), qui s’engraissent pour préserver leur empire économique colonial, et qui plus est copains comme cochons avec le gouvernement.

Non seulement ce sont vraiment des gens vraiment haïssables, mais leur couleur de peau blanche et leur racisme anti-noirs en fait des cibles de rêve pour une population essentiellement noire et métissée qui cherche des explications et des coupables à sa situation déplorable.



Deuxième, troisième semaine de négociations… pour la première fois de notre histoire, elles se déroulent en compagnie des médias, dans une salle réunissant TOUT les principaux partenaires : sociaux, privés, représentants de l’état, élus, patronat… tout le monde est présent dans la salle. Et c’est un sacré bordel.

- L’état français accumule les erreurs : menaces (surtout pas contre l’UGTG malheureux !), manque de courtoisie (et hop le chargé d’état qui se barre en avion sans avoir prévenu les 150 personnes avec qui il à une réunion le lendemain), phrases creuses et langue de bois (en créole on est très directs, certains prennent même cela pour de l’agressivité, mais au moins on tourne pas autour du pot), promesses non tenues, bref une horreur. Jusqu’au désengagement final de l’état qui nous demande de nous démerder tout seuls sur certains points de revendication. C’est clair que c’est super efficace comme méthode si l’objectif à court terme est une guerre civile.

- L’UGTG n’est pas en reste, question conneries elle se pose là, aussi : déclarations à connotation racistes (heureusement que dans la population on sait décrypter, et son sait à qui ca s’adresse, que l’objectif est de montrer une discrimination… mais c’est dit de façon tellement maladroite… et ca arrange pas le climat social), fermeture systématique sous la pression et la menace des magasins et des commerces, alors que beaucoup de petites entreprises, d’artisans ou d’indépendants ne peuvent se permettre de ne rien branler pendant 3 semaines… et tout ca au nom des travailleurs (ah, ah), appel à la violence (le porte parole Elie DOMOTA déclarait sur une chaine locale : si un seul membre du LKP est blessé dans le cadre des manifestations il y aura des morts), bref la tactique habituelle de l’UGTG, mais cette-fois ci pour une cause juste et partagée par la majorité de la population.


Fig.1 : le fouteur de bordel


Après, y’a le fond et la forme, et beaucoup de gens admettent que les méthodes sont parfois abusées, mais soutiennent le mouvement malgré tout. Devenue une icône du combat contre le méchant état Français et les blancs békés profiteurs, Elie DOMOTA devient un personnage médiatique incontournable, et apprends vite des ses erreurs, limitant le nombre de ses bourdes, heureusement pour la paix civile en Guadeloupe.

- Les élus sont dépassés, mous, hypocrites et démagos : certains élus UMP veulent descendre dans la rue pour gueuler (ah, ah) parce que le peuple y est aussi, d’autres essayent de récupérer un peu d’électorat à coup de déclarations pompeuses, d’autres encore défendent comme ils peuvent leur politique d’inactivité totale pendant leur mandat. Comique, mais un peu triste quand même. Un peu comme on peut être attendri devant un chiot pouilleux et famélique.

- Le patronat est en vacance ou peu représenté, les petits patrons (TPE et PME) complètement oubliés, les propositions faites sont faibles, et quand bien même le MEDEF local fait preuve d’initiative et de bonne volonté, Matignon leur refuse tout net. Youpi…



Et là on en est à la cinquième semaine de grève. Tout mes clients ont annulé sauf un, je ne pourrais pas payer mon loyer le mois prochain, ni même les charges de ma société que j’ai en retard pour ce mois-ci. Heureusement que je n’au aucun salarié, et que mon fils à pas l’âge d’aller à l’école, ca lui évitera d’avoir à rattraper 1 mois de glandouille. J’ai déjà 3 potes qui sont au chômage, mais j’ai réussi à faire de l’essence (en trichant un peu… merci Cyann). Ce matin la police à commencé à cogner les manifestants (c’est déjà miraculeux qu’on ai attendu aussi longtemps) et tiré des lacrymos dans les rues. C’est dommage, on peut reprocher pas mal de trucs au LKP, mais jusqu’ici ils étaient restés pacifiques.
Jusqu’ici.
Ce soir, Pointe-à-Pitre brûle.
L’économie est en ruines, beaucoup d’étals des magasins sont vides, on achète des légumes locaux au marché et on mange moins de viande, plus bio, plus local. C’est déjà ca.
On regarde à la maison d’un œil amusé les journalistes, les syndicalistes, les politiciens manipuler les foules, en mangeant notre salade de légumes aux 20 heures.
Et je continue à me faire traiter de sale blanc, et je continue à le prendre avec philosophie, parce que je sais qu’un fond je ne suis pas visé… même si ca me fait mal, à chaque fois.



Et je continue d’essayer d’aller travailler, parce que je n’ai pas le choix, parce que mon fils et ma femme n’ont que moi pour les nourrir, et ce n’est pas une question de politique.

Et je continue à soutenir ce mouvement parce que j’en ai marre de faire survivre ma famille et que j’aimerais bien pouvoir vivre un peu, et je continue à dénoncer les excès des uns et des autres, qu’ils soient syndicalistes ou politiciens, parce que j’ai toujours un esprit critique.

Et je continue à regarder d’un œil de plus en plus fatigué les luttes de pouvoir, les tensions, la haine, la souffrance, les manipulations, la bêtise, l’inhumanité d’un système poussé jusqu’au grotesque, et mes rêves, toujours mes précieux rêves, sombrer.

Et je regarde mon fils.

Et j’ai honte du monde que je lui laisse.